Statut S: retour sur une procédure sans précédent
L’afflux de personnes venant d’Ukraine a été très important en 2022, nécessitant leur enregistrement à travers toute la Suisse. Le nombre de demandes de protection a sensiblement diminué en 2023. Toutes les procédures pour le statut S seront centralisées à Berne dès janvier 2024. Si le nombre de demandeurs diminue, la complexité d’une proportion importante de dossiers demeure.
Le 24 février 2022, alors que la guerre en Ukraine éclate, la communauté internationale s’émeut et se mobilise. En Suisse, le 11 mars 2022, le Conseil fédéral approuve l’activation de la protection S. Cet outil qui se distingue de la procédure d’asile ordinaire, permet d’accorder une protection collective sans examen individuel des motifs de fuite, garantissant un octroi rapide. La décision du Conseil fédéral définit trois critères pour son obtention: être de nationalité ukrainienne – ou au bénéfice d’un permis de séjour en Ukraine et ne pouvoir rentrer de manière sûre et durable dans son pays d’origine –avoir sa résidence principale en Ukraine au 24 février 2022 et ne pas disposer d’un droit de séjour dans un autre pays.
Tout était à faire
Pour mettre en place et assurer le conseil et la représentation des requérant-e-s de la protection S au Centre fédéral d’asile de Boudry (NE), Caritas Suisse a dû relever de nombreux défis. La disposition relative au statut S n’ayant jamais été appliquée, tout était à faire au gré des arrivées et des changements de pratique du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), qui cherchait à optimiser le processus. Juridiquement, aucune doctrine ni jurisprudence n’existe alors, de sorte que l’enjeu est de construire les premières argumentations spécifiques à la protection. Et l’atmosphère est dramatique: les personnes qui arrivent ont quitté la guerre seulement quelques heures auparavant. À leur accueil, le traumatisme est prégnant: elles suivent encore les bombardements en direct depuis leur smartphone.
En tant que premiers interlocuteurs des requérant, les conseillers et conseillères* ainsi que les représentants et représentantes juridiques de Caritas Suisse vont les aider à remplir un formulaire en vue de leur demande de protection. Surtout, l’accompagnement par ces professionnels va s’avérer déterminant pour les personnes ne remplissant pas, à première vue, les critères d’accès et pour lesquelles le SEM va solliciter un entretien de clarification.
Tel fut le cas de Nael** et Olena, qui se sont rencontrés dans un parc d’Odessa trois ans avant leur arrivée en Suisse. Lui est originaire du Maroc, elle d’Ukraine. Il voulait la demander en mariage pour Noël. En l’absence d’union au moment de leur demande, ils se voient refuser l’accès à la protection S. Tout comme Karina et son fils Konstantin, qui après avoir obtenu une protection en France, l’ont annulé afin de venir en Suisse pour les études du jeune homme. En l’absence de preuves, ils sont considérés comme toujours au bénéfice d’une protection en France.
Il existe autant de parcours de vie que de demandes de protection S, certain-e-s rempliront les critères retenus, d’autres auront une situation administrative plus délicate et propice à recevoir une décision négative. Pour ces moins chanceux, la représentation juridique est cruciale pour les conseiller et les représenter dès leur arrivée et jusqu’à un éventuel recours. Outre ces cas, la détection des cas vulnérables, de traite d'êtres humains ou de kidnapping d’enfants sont au cœur de la prise en charge effectuée par Caritas.
Centralisation en 2024
La baisse des enregistrements, amorcée dès début 2023 a incité la fermeture des différentes task forces Ukraine dans les cantons, au profit d’une centralisation à Berne dès le 1er janvier 2024. En effet, alors qu’en 2022, environ 70 à 80 Ukrainien-ne-s sont accueillis tous les jours d’ouverture – soit 12'500 à Boudry sur l’année 2022 -, ils ne sont plus qu’une trentaine par jour au début de l’année 2023 et 26 actuellement, soit approximativement 3’000 sur l’année 2023. Si ces chiffres expliquent la centralisation annoncée, ils masquent toutefois une autre réalité: les cas spécifiques augmentent, nécessitant davantage de temps pour l’analyse et la représentation juridique de chacun. A titre d’exemple, ces six derniers mois, en moyenne 28 cas par mois nécessitaient la tenue d’un entretien de clarification, soit trois fois plus qu’à la même période en 2022.
Ces chiffres s’expliquent en grande partie par le temps écoulé depuis l’éclatement de la guerre. Un an et demi après le début de celle-ci, il est courant que les arrivants aient déjà obtenu un statut de séjour dans d’autres pays, ou qu’elles n’aient pas entrepris de demandes de protection S parce qu’elles savaient leur situation initiale délicate. Tel est le cas par exemple de Nadia, originaire d’un pays tiers qu’elle a fui pour éviter un mariage forcé et des violences. Questionnée par les autorités suisses quant à une éventuelle décision négative et un renvoi vers son pays d’origine, elle déclare: «Je préfère retourner en Ukraine dans ce cas, quel autre choix ais-je?».
Tout l’enjeu est donc de maintenir l’équilibre entre analyse des cas et rapidité de décision. La représentation juridique et le SEM vont devoir réunir des conseillers, juristes et auditeurs formés à la spécificité de la procédure. Il s’agit de délivrer en une journée des statuts de séjour aux personnes remplissant l’ensemble des conditions, en quelques jours pour ceux dont les spécificités requièrent des clarifications, tout en accordant la qualité d’écoute et d’analyse nécessaire à chaque cas.
Le statut S a révolutionné la procédure d’asile en ce qu’il a incarné ce qui était considéré comme impossible jusqu’alors pour les autres requérant-e-s: une procédure d’asile éclair garantissant le droit au regroupement familial, à la liberté de voyager et l’exercice d’une activité lucrative, sans délai. Caritas a déjà dénoncé cette inégalité de traitement***. A l’aube d’une nouvelle ère pour la protection S, l’abolition de ce statut ainsi que de l’admission provisoire, au profit de la création d’un statut de protection humanitaire égal pour tous pourrait être la voie.
Écrit par Marie Reboul, spécialiste de la Task Force Ukraine de Caritas Suisse dans le CFA de Boudry
Demandes d’interview et autres informations: medias@caritas.ch
* Le conseil juridique est assuré à Boudry par l’Union Suisse des Comités d’Entraide Juive (VSJF)
** Tous les prénoms ont été changés
*** Un bilan positif, mais des améliorations nécessaires
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Photo de couverture: Boudry 2022 © Ghislaine Heger