Comment conserver la confiance d’un jeune requérant d’asile dont l’âge est modifié sans son accord?

La détermination de l’âge des mineurs non accompagnés dans la procédure d’asile accélérée

Dans la procédure d’asile, en cas de doute sur leurs données personnelles, les requérants mineurs peuvent être soumis à une expertise visant à déterminer leur âge. Selon les résultats de cette dernière, la date de naissance du jeune peut être modifiée. Le jeune qui était jusqu’alors pris en charge, notamment par une personne de confiance, ne l’est plus. Quelles sont les voies de droit ouvertes aux jeunes pour contester ce changement? Comment ces jeunes ressentent-ils cette modification de leur identité? Quel rôle joue la personne de confiance attribuée aux mineurs non accompagnés après ce passage à la majorité?

Suite à sa demande d’asile dans le centre fédéral à Boudry, Ashraf*, mineur non accompagné a eu une première audition portant sur ses données personnelles, dont son identité et son âge, mais également son voyage pour venir en Suisse ou encore sa scolarité. En arrivant en Suisse, il n’avait pas de document d’identité et lors de son audition, il a indiqué n’en avoir jamais possédé. En effet, dans sa région reculée d’Afghanistan, il n’y avait aucune présence des autorités et il n’avait jamais besoin de document d’identité au quotidien. Il a ajouté qu’en Afghanistan, la date de naissance n’était pas vraiment importante que personne de la demandait jamais. «Malheureusement, je ne connais pas ma date de naissance complète dans le calendrier perse, je sais suis né dans le 3ème mois de l’année 1384»**, a-t-il encore expliqué. Il a ajouté avoir 17 ans et que sa maman lui avait dit son âge, inscrit selon la tradition en dernière page du Coran familial, en guise de souvenir de sa naissance. Il n’en savait pas plus.

Une nouvelle date de naissance pour la procédure

Sa minorité n’étant pas rendue vraisemblable, le Secrétariat d’Etat aux Migrations (SEM) le soumet à un test osseux suite à cette première audition. Ce test détermine approximativement son âge par des radios de ses dents, clavicules et de sa main gauche. Les résultats du test tombent, Ashraf aurait un minimum de 18 ans, mais un âge probable se situant entre 18 et 22 ans. Par la suite, sa date de naissance est modifiée par le SEM:  il a dorénavant et pour la suite de sa procédure 18 ans, sa date de naissance est aléatoirement modifiée au 01.01.2004.

Pas de recours possible

En tant que personne de confiance dans la procédure d’asile pour les mineurs non accompagnés, notre tâche est de les accompagner, de les soutenir et de les conseiller, mais également de défendre leurs intérêts spécifiques durant la procédure dans le but d’assurer leur bien-être. Ainsi, nous devrions entreprendre toutes les démarches nécessaires au bien-être du requérant. Toutefois, au moment de son passage à la majorité, quelque chose me surprend et m’affecte. Je réalise que je ne peux rien faire à ce moment-là contre son passage à la majorité. En effet, il est impossible de recourir à ce stade de la procédure contre son changement de date de naissance, modifiée par une décision non susceptible de recours. Nous devons attendre une décision finale sur sa demande d’asile pour pouvoir tenter un recours. Je réalise alors à quel point le rôle de personne de confiance est compliqué à ce stade et que je ne peux qu’expliquer au mineur les options s’ouvrant à lui dans un avenir plus ou moins lointain. Je tente de le rassurer, lui explique encore une fois la procédure, les arguments du SEM, le résultat du test, les contre arguments que nous pourrions énoncer. Ashraf me répond qu’il est désemparé, qu’il ne sait pas quoi faire pour prouver son âge et qu’il dit la vérité. 

S’abattent alors sur lui une avalanche de changements dans son quotidien qui ne sont pas faciles à accepter. En effet, il va sûrement se retrouver dans une nouvelle chambre avec des personnes majeures, il ne pourra plus participer à certaines activités proposées aux mineurs, ni être suivi et accompagné dans le centre par des éducateurs. Finalement, il perdra également sa personne de confiance, qui restera uniquement sa juriste pour la suite de la procédure. En plus, il risque à présent une décision de renvoi dans un autre Etat européen.

Le rôle très nouveau de la personne de confiance

Tous ces changements affectent bien souvent et parfois injustement les mineurs. Il serait alors du devoir de la personne de confiance d’accompagner au mieux le mineur devenu jeune majeur, tout en sachant que ce rôle de personne de confiance disparaît légalement avec le passage à la majorité. Dès lors, je m’interroge sur le rôle de la personne de confiance et l’impossibilité d’interjeter recours…  Il est difficile pour moi de me cantonner simplement au rôle de juriste et de ne plus être légalement sa personne de confiance, comme je l’ai été hier. Pour Ashraf, sa perte d’identité est grande, il se sent perdu et désorienté, ses croyances sur son âge se sont envolées. Dans la nouvelle procédure d’asile, le rôle de personne de confiance reste très nouveau, il est hybride et difficile à exercer pour tout juriste, tiraillé entre assurer le bien-être du mineur et limité légalement tant par la loi, mais également par la structure du centre fédéral et les réelles possibilités de l’exercer.

*nom d’emprunt
** phrase reprise de la première audition d’Ashraf

La Confédération a mandaté Caritas Suisse pour la représentation et le conseil juridiques en Suisse romande. Au Tessin et en Suisse centrale, ce mandat est mené en collaboration avec SOS Ticino

Écrit par Sophie Schnurrenberger

Photo de couverture: © Caritas Suisse