La mère de la famille de sept personnes ne peut plus cultiver la terre ni traire le lait, car les animaux meurent à cause de la sécheresse. Et maintenant, tout devient encore plus cher sur le marché. Éthiopie, 2022, Aga Kararso Village Moyale
La mère de la famille de sept personnes ne peut plus cultiver la terre ni traire le lait, car les animaux meurent à cause de la sécheresse. Et maintenant, tout devient encore plus cher sur le marché. Éthiopie, 2022, Aga Kararso Village Moyale

Analyse: les conséquences de la guerre en Ukraine dans les pays du Sud

Les plus pauvres sont les plus violemment touchés par la hausse des prix des denrées alimentaires

Aujourd'hui déjà, les conséquences de la guerre en Ukraine sur la situation de l'alimentation et de la pauvreté dans le Sud global se font sentir au quotidien, comme le montre une enquête de Caritas. Face à la crise alimentaire qui s'aggrave massivement, il est d'autant plus urgent que la communauté internationale s'engage en faveur d'un système alimentaire socialement durable et que les pays touchés par la pauvreté soient soutenus par des financements supplémentaires, y compris par la Suisse.


On sait maintenant que la Russie et l'Ukraine figurent parmi les plus grands producteurs agroalimentaires mondiaux. Ces deux pays assurent à eux seuls un tiers des exportations mondiales de blé et d'orge. Une grande partie de l'Europe, du Proche-Orient et de l'Afrique dépend des céréales ukrainiennes. L’Ukraine est également un important fournisseur de maïs et un leader mondial de la production d'huile de tournesol utilisée dans la transformation alimentaire. Or, la guerre a fortement réduit la production et la vente de céréales en Ukraine. Aux millions de tonnes bloquées en route s’ajoutent les attaques ciblées de l’armée russe.

La pandémie de COVID avait déjà entraîné une forte dégradation de la sécurité alimentaire dans les pays du Sud. L’an dernier, 193 millions de personnes n’ont pas mangé à leur faim dans 53 pays. La guerre en Ukraine va terriblement aggraver la pauvreté. Elle a d’ores et déjà d’énormes répercussions: en mars, l'indice des prix des produits alimentaires a atteint un nouveau record depuis son introduction en 1990.

De graves conséquences économiques pour les personnes en situation de pauvreté

La flambée sans précédent des prix des denrées alimentaires due aux conflits en cours, à l'instabilité politique, à la pandémie de COVID-19 et à la guerre en Ukraine, entraînera une forte augmentation du nombre de personnes sous-alimentées. À cela s'ajoutent les conséquences économiques de la hausse des prix des matières premières et de l'énergie, les retards de transport et l'interruption des chaînes d'approvisionnement. Enfin, la Russie joue un rôle essentiel en tant que productrice d’engrais. Les sanctions occidentales font grimper leurs prix à un niveau record, ce qui laisse présager un recul des rendements agricoles. 

Caritas Suisse intervient dans une vingtaine de pays d’Afrique subsaharienne, d’Asie, d’Amérique latine, des Caraïbes, d’Europe de l'Est et du Proche-Orient. Son action se concentre sur les groupes de population particulièrement touchés par la pauvreté. Un sondage réalisé dans ces pays suite à la guerre en Ukraine a révélé que les prix des carburants ont augmenté de 10 à 20 pour cent dans plus de la moitié des pays et jusqu'à 50 pour cent dans d'autres. Cette hausse frappe justement aussi les pays dont les systèmes de marché locaux sont très sensibles aux fluctuations des prix des carburants et à la forte pression qu’elles exercent sur les coûts des aliments de base.

Dégradation de la situation humanitaire

Les prix du blé ont augmenté de 20 à 100 pour cent dans la plupart des pays. Cette terrible flambée n’épargne pas les aliments de base, en particulier les céréales, les huiles alimentaires, le sucre et la farine, comme on a déjà pu l’observer en Éthiopie, au Brésil, au Cambodge, au Mali, au Tadjikistan et en Ouganda. 

L'exemple du Mali montre en quoi la hausse des prix des denrées alimentaires menace immédiatement la survie des gens. La moitié de la population de ce pays vit avec moins de 1.90 USD par jour et la population en situation de pauvreté consacre 80% de son revenu disponible aux biens de consommation. Ces derniers temps, les prix des denrées alimentaires ont pris l’ascenseur : le maïs, le sorgho et le millet par exemple coûtent aujourd'hui deux fois plus cher que l’an passé. Et l'expérience enseigne qu’après la récolte, les prix grimpent encore jusqu'en septembre. Avec le même revenu disponible, les gens sont donc maintenant obligés de réduire leur consommation de moitié. Cette situation, cumulée à la sécheresse qui sévit au Sahel comme en Afrique de l'Est, entraîne une grave crise alimentaire. 

Multiplication des crises

La dégradation de la situation humanitaire dans la plupart des pays où Caritas intervient reflète directement les répercussions de ces hausses des prix qui anéantissent les investissements dans l’amélioration des conditions de vie: le renchérissement des semences, des engrais et des denrées alimentaires entraîne immédiatement une crise alimentaire. De plus en plus de rapports indiquent que de nombreuses familles doivent à nouveau se contenter d'un seul repas par jour. Dans cette situation humanitaire précaire, les répercussions de la guerre en Ukraine constituent un facteur aggravant parmi beaucoup d'autres pour de nombreux pays fragiles du monde. Les crises se multiplient: les conflits, la catastrophe climatique, la pandémie de COVID et maintenant les conséquences de la guerre entre l'Ukraine et la Russie amplifient tour à tour la crise alimentaire.

Renforcer les marchés régionaux et locaux

Caritas Suisse lutte contre cette situation de détresse en soutenant directement les populations touchées par la pauvreté dans une vingtaine de pays du monde entier. Son action se concentre notamment sur les systèmes de marché locaux et les mesures de formation professionnelle. La crise alimentaire souligne avec une acuité particulière l’urgence qu’il y a pour la communauté internationale à renforcer les marchés régionaux et locaux. Mais la nécessité d’œuvrer pour un système alimentaire durable sur le plan écologique et social saute également aux yeux. Nous devons de toute urgence diminuer par des financements complémentaires l’impact de la guerre en Ukraine sur les pays pauvres. 

Or, en Suisse, la part des dépenses publiques consacrées au développement plafonne à environ 0,5% de la performance économique, ce qui est très en-deçà de l’objectif fixé à 0,7%. Ces économies peu durables à l’échelle mondiale ont de graves conséquences : la catastrophe alimentaire qui frappe le Sahel et l’Afrique de l'Est en 2022 montre très clairement que nous revendiquons et défendons notre confort au détriment des droits d’autres populations. Les conditions de vie dans les pays riches, caractérisées par un accès illimité aux ressources, reposent sur la pauvreté des autres. On continue à poser comme une évidence le fait que les habitant-e-s des pays pauvres devraient cultiver le renoncement et on s’accommode des famines dont pâtit une grande partie de la population mondiale. Caritas Suisse continuera à œuvrer pour la justice sociale et écologique, tant sur le plan opérationnel que par des mesures de lobbyisme. En même temps, elle fera son possible pour poursuivre la lutte contre la pauvreté dans le monde et pour atténuer les conséquences de crises humanitaires comme celle liée au conflit en Ukraine.

Écrit par Franziska Koller

Photo de couverture: La mère de la famille de sept personnes ne peut plus cultiver la terre ni traire le lait, car les animaux meurent à cause de la sécheresse. Et maintenant, tout devient encore plus cher sur le marché. Éthiopie, 2022, Aga Kararso Village Moyale © Ayaana Publishing PLC-Caritas Suisse